« Write about a grown-up who does not play well with
others. »
Écrivez l’histoire d’un adulte
qui ne s’entend pas bien
avec
les autres.
Hugues était un homme malheureux. C’était principalement de
sa propre faute. Il était aigri, désagréable, irritable, indélicat, exécrable,
et surtout, déplaisant. Certes, certains de ces mots veulent dire la même
chose, mais ce n’est que pour accentuer le fait qu’Hugues était un homme qui ne
plaisait pas beaucoup au reste du monde. Lui-même ne savait pas bien communiquer
avec les autres.
Hugues n’aimait pas beaucoup les gens.
Il se réveillait le matin au son d’animateurs radio qui
tentaient de lui informer des nouvelles du jour. Mais il ne trouvait rien
d’autre à leur dire que de « se la fermer » et que, de toute façon,
« le monde est un globe de désespoir qui abrite quotidiennement nos
petites déceptions personnelles ». Et le monde, lui, ne se plaignait
jamais ! Après sa session grommelage du matin, Hugues se levait du lit
dans un soupir afin de s’asseoir à son bord pendant cinq minutes encore.
Il n’y avait rien qu’Hugues détestait plus au monde que le
réveil. À part les lundis, bien évidemment, mais qui ne détestait pas les
lundis ? Et son prénom, mais avec un prénom pareil, c’était bien justifié.
Ah, et le bacon. Il ne comprenait pas l’affolement que l’humanité présentait
avec cette nourriture. Et les chiots, les chatons, et tout autre animal petit
et mignon. Ils ne servaient à rien si ce n’était de faire roucouler les femmes
et couiner les enfants. « Papa, je veux un poney ! » Papa va
mettre ton poney là où il pense, selon Hugues. Les enfants aussi
n’apparaissaient pas sur sa liste de choses « à aimer ».
Après avoir testé le sol frais du matin au moins quinze fois
du bout des doigts de pieds, Hugues se levait du lit et traînait des pieds
jusqu’à la salle de bain, où il se préparait tout en se plaignant. L’eau de la
douche n’était jamais assez froide, jamais assez chaude. Il ne trouvait pas la température
« tiède » et trouvait qu’elle devait exister sur tous les robinets du
monde. Ça rendrait la vie plus simple, plus efficace et, surtout, plus rapide.
Il ne prendrait pas tout ce temps le matin pour trouver la température idéale
afin de se shampooiner le peu de cheveux qui lui restaient sur le crâne, et de
se savonner son corps vieillissant.
En sortant de la douche, Hugues pensa toujours à une façon
de faire en sorte que le choc climatique soit moins dramatique lorsqu’il
passait de la douche à la serviette. Laisser la fenêtre ou la porte ouverte
était hors de question, ça rafraîchissait de trop la pièce pendant sa douche.
Mais en les fermant, c’était la chaleur qui devenait insoutenable.
À cet instant, c’était la vie d’Hugues qui lui semblait
insoutenable.
S’habiller était simple pour Hugues puisqu’il n’a pas souvent
changé ses habitudes vestimentaires depuis ces vingt dernières années.
Travaillant dans un bureau toute la journée, c’étaient une chemise classique
blanche, une cravate noire et un pantalon noir qui dominaient sa garde-robe. Ce
moment de la matinée était bien le seul moment de la journée où Hugues ne
trouvait pas de quoi se plaindre. Ça se passait rapidement, même si quelques
fois, il peinait à mettre sa cravate correctement.
Le petit déjeune pour Hugues consistait d’un bol de céréales
simples avec un peu de lait, du café, un morceau de pain blanc grillé et son
journal quotidien. Certains jours, Hugues lisait tout ce qu’il y avait à lire
sur ces pages. D’autres, il ne faisait que semblant.
Aujourd’hui, il faisait semblant.
Une fois ce rituel terminé, il était temps pour Hugues
d’affronter la vie extérieure. Les rues et le métro parisien ne lui tentaient
guère. Tous les matins, juste avant de partir, la même pensée lui traversait
l’esprit : « Est-ce que j’appelle le bureau pour leur dire que je
suis malade aujourd’hui ? » Et, comme tous les matins, juste avant de
partir, il en vient à la même conclusion : « Peut-être demain. »
C’est alors qu’il fait ses premiers pas sur les trottoirs
sales de Paris. À ce point, il ne porte plus sa sacoche, il l’agrippe. Il sait
esquiver toutes les crottes de chien avant même qu’elles n’apparaissent sur son
radar. Il passe son temps à slalomer entre les gens pressés qui se sentent
obligés de prendre toute la place sur les trottoirs déjà trop petits. Puis, il
fait son entrée dans le métro parisien – le cauchemar parisien.
Certains disent du métro que ce sont les odeurs qui
dégoûtent le plus. D’autres vont raconter que c’est le bruit des trains qui
rebondit sur tous les murs qui assourdissent. Hugues dira à n’importe qui
posant la question que ce sont les gens qui rendent le métro dégoûtant. Ils
s’entassent, transpirent, toussent, crachent, respirent tous la même
atmosphère. Chaque personne reste dans sa bulle tout en piétinant sur la bulle
des autres. Hugues, n’écoutant pas de la musique sur son trajet jusqu’au
bureau, reste dans un coin, osant à peine toucher quoi que ce soit, une grimace
figée sur son visage.
La sortie du métro pour Hugues n’est qu’une demie
-libération. Il retrouve les trottoirs parisiens sur le court chemin jusqu’au
bureau. En général, il se dépêche pour trouver son compartiment afin de pouvoir
y s’installer et ne parler à personne. De plonger son nez dans son ordinateur
et dans ses papiers sans devoir avoir à faire à quiconque sur son chemin. Ses collègues
le fatiguaient, ils avaient tous des histoires à raconter sur leurs familles,
leurs vies en dehors du travail. Lui n’avait aucunement envie d’entendre ces
histoires sans fin.
Mais parfois, une rare personne arrivait à le freiner dans
son élan et à le questionner sur sa vie. Il ne communiquait en général qu’avec
des grognements.
Hugues n’aimait pas beaucoup les gens.
Le midi, Hugues passait dans la boulangerie du coin qui lui
avait déjà préparé son sandwich et sa boisson gazeuse préférée. Il prenait le
tout pour retourner dans son bureau afin de manger entouré seulement de son
ordinateur, de ses papiers importants et de sa solitude imposante. Le silence
ne le dérangeait pas. Ce qui le dérangeait, était lorsque quelqu’un frappait à
sa porte pour lui demander un service.
À la fin de sa journée, la routine trottoir-métro-maison se
déroulait, et Hugues se retrouvait enfin, une bière à la main, dans son canapé,
devant sa télévision. Il restait ainsi pendant quelques heures à décompresser
avant de partir se préparer pour aller se coucher.
Mais avant d’éteindre la lumière et de mettre fin à une
énième journée ennuyeuse et sans but précis, il embrasse deux doigts afin de
les poser, délicatement, sur la photo d’une femme. Elle lui offrait un sourire
éclatant et sincère depuis son cadre, posé sur la table de nuit d’Hugues. Elle
exprimait une histoire perdue, mais pas oubliée. Une histoire qui aurait duré
plusieurs années avant de prendre fin brusquement. Trop soudainement.
Hugues l’aimait beaucoup.