dimanche 27 juillet 2014

Hugues.

« Write about a grown-up who does not play well with others. »

Écrivez l’histoire d’un adulte 
qui ne s’entend pas bien 
avec les autres.





Hugues était un homme malheureux. C’était principalement de sa propre faute. Il était aigri, désagréable, irritable, indélicat, exécrable, et surtout, déplaisant. Certes, certains de ces mots veulent dire la même chose, mais ce n’est que pour accentuer le fait qu’Hugues était un homme qui ne plaisait pas beaucoup au reste du monde. Lui-même ne savait pas bien communiquer avec les autres.

Hugues n’aimait pas beaucoup les gens.

Il se réveillait le matin au son d’animateurs radio qui tentaient de lui informer des nouvelles du jour. Mais il ne trouvait rien d’autre à leur dire que de « se la fermer » et que, de toute façon, « le monde est un globe de désespoir qui abrite quotidiennement nos petites déceptions personnelles ». Et le monde, lui, ne se plaignait jamais ! Après sa session grommelage du matin, Hugues se levait du lit dans un soupir afin de s’asseoir à son bord pendant cinq minutes encore.

Il n’y avait rien qu’Hugues détestait plus au monde que le réveil. À part les lundis, bien évidemment, mais qui ne détestait pas les lundis ? Et son prénom, mais avec un prénom pareil, c’était bien justifié. Ah, et le bacon. Il ne comprenait pas l’affolement que l’humanité présentait avec cette nourriture. Et les chiots, les chatons, et tout autre animal petit et mignon. Ils ne servaient à rien si ce n’était de faire roucouler les femmes et couiner les enfants. « Papa, je veux un poney ! » Papa va mettre ton poney là où il pense, selon Hugues. Les enfants aussi n’apparaissaient pas sur sa liste de choses « à aimer ».

Après avoir testé le sol frais du matin au moins quinze fois du bout des doigts de pieds, Hugues se levait du lit et traînait des pieds jusqu’à la salle de bain, où il se préparait tout en se plaignant. L’eau de la douche n’était jamais assez froide, jamais assez chaude. Il  ne trouvait pas la température « tiède » et trouvait qu’elle devait exister sur tous les robinets du monde. Ça rendrait la vie plus simple, plus efficace et, surtout, plus rapide. Il ne prendrait pas tout ce temps le matin pour trouver la température idéale afin de se shampooiner le peu de cheveux qui lui restaient sur le crâne, et de se savonner son corps vieillissant.

En sortant de la douche, Hugues pensa toujours à une façon de faire en sorte que le choc climatique soit moins dramatique lorsqu’il passait de la douche à la serviette. Laisser la fenêtre ou la porte ouverte était hors de question, ça rafraîchissait de trop la pièce pendant sa douche. Mais en les fermant, c’était la chaleur qui devenait insoutenable.

À cet instant, c’était la vie d’Hugues qui lui semblait insoutenable.

S’habiller était simple pour Hugues puisqu’il n’a pas souvent changé ses habitudes vestimentaires depuis ces vingt dernières années. Travaillant dans un bureau toute la journée, c’étaient une chemise classique blanche, une cravate noire et un pantalon noir qui dominaient sa garde-robe. Ce moment de la matinée était bien le seul moment de la journée où Hugues ne trouvait pas de quoi se plaindre. Ça se passait rapidement, même si quelques fois, il peinait à mettre sa cravate correctement.

Le petit déjeune pour Hugues consistait d’un bol de céréales simples avec un peu de lait, du café, un morceau de pain blanc grillé et son journal quotidien. Certains jours, Hugues lisait tout ce qu’il y avait à lire sur ces pages. D’autres, il ne faisait que semblant.

Aujourd’hui, il faisait semblant.

Une fois ce rituel terminé, il était temps pour Hugues d’affronter la vie extérieure. Les rues et le métro parisien ne lui tentaient guère. Tous les matins, juste avant de partir, la même pensée lui traversait l’esprit : « Est-ce que j’appelle le bureau pour leur dire que je suis malade aujourd’hui ? » Et, comme tous les matins, juste avant de partir, il en vient à la même conclusion : « Peut-être demain. »

C’est alors qu’il fait ses premiers pas sur les trottoirs sales de Paris. À ce point, il ne porte plus sa sacoche, il l’agrippe. Il sait esquiver toutes les crottes de chien avant même qu’elles n’apparaissent sur son radar. Il passe son temps à slalomer entre les gens pressés qui se sentent obligés de prendre toute la place sur les trottoirs déjà trop petits. Puis, il fait son entrée dans le métro parisien – le cauchemar parisien.

Certains disent du métro que ce sont les odeurs qui dégoûtent le plus. D’autres vont raconter que c’est le bruit des trains qui rebondit sur tous les murs qui assourdissent. Hugues dira à n’importe qui posant la question que ce sont les gens qui rendent le métro dégoûtant. Ils s’entassent, transpirent, toussent, crachent, respirent tous la même atmosphère. Chaque personne reste dans sa bulle tout en piétinant sur la bulle des autres. Hugues, n’écoutant pas de la musique sur son trajet jusqu’au bureau, reste dans un coin, osant à peine toucher quoi que ce soit, une grimace figée sur son visage.

La sortie du métro pour Hugues n’est qu’une demie -libération. Il retrouve les trottoirs parisiens sur le court chemin jusqu’au bureau. En général, il se dépêche pour trouver son compartiment afin de pouvoir y s’installer et ne parler à personne. De plonger son nez dans son ordinateur et dans ses papiers sans devoir avoir à faire à quiconque sur son chemin. Ses collègues le fatiguaient, ils avaient tous des histoires à raconter sur leurs familles, leurs vies en dehors du travail. Lui n’avait aucunement envie d’entendre ces histoires sans fin.

Mais parfois, une rare personne arrivait à le freiner dans son élan et à le questionner sur sa vie. Il ne communiquait en général qu’avec des grognements.

Hugues n’aimait pas beaucoup les gens.

Le midi, Hugues passait dans la boulangerie du coin qui lui avait déjà préparé son sandwich et sa boisson gazeuse préférée. Il prenait le tout pour retourner dans son bureau afin de manger entouré seulement de son ordinateur, de ses papiers importants et de sa solitude imposante. Le silence ne le dérangeait pas. Ce qui le dérangeait, était lorsque quelqu’un frappait à sa porte pour lui demander un service.

À la fin de sa journée, la routine trottoir-métro-maison se déroulait, et Hugues se retrouvait enfin, une bière à la main, dans son canapé, devant sa télévision. Il restait ainsi pendant quelques heures à décompresser avant de partir se préparer pour aller se coucher.

Mais avant d’éteindre la lumière et de mettre fin à une énième journée ennuyeuse et sans but précis, il embrasse deux doigts afin de les poser, délicatement, sur la photo d’une femme. Elle lui offrait un sourire éclatant et sincère depuis son cadre, posé sur la table de nuit d’Hugues. Elle exprimait une histoire perdue, mais pas oubliée. Une histoire qui aurait duré plusieurs années avant de prendre fin brusquement. Trop soudainement.


Hugues l’aimait beaucoup.


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